Difference between revisions of "Propos sur la causalité psychique"
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m'exposant | m'exposant | ||
à mon tour à vos critiques.</font> | à mon tour à vos critiques.</font> | ||
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− | + | # On peut lire le dernier exposé actuellement paru des points de vue d'Henri Ey dans la brochure qui donne le rapport présenté par J. de Ajuriaguerra et | |
− | + | H.Hécaen aux Journées de Bonneval de 1943 (soit de la session | |
− | + | immédiatement antécédente). A ce rapport qui est une critique de sa doctrine, H.Ey apporte en effet une introduction et une longue réponse. | |
− | exposé | + | Certaines des citations qui suivront leur sont empruntées. (Rapports de la |
− | actuellement paru des points de vue d'Henri Ey dans la brochure qui | + | Neurologie et de la Psychiatrie. H. Ey, J. de Ajuriaguerra et H. Hécaen, Hermann édit., 1947. No 1018 de la collection bien connue : Actualités scientifiques et industrielles".) D'autres citations ne se trouvent pourtant que dans des textes dactylographiés où s'est poursuivie une très féconde discussion qui a préparé les Journées de 1945. |
− | donne | + | # Cf. loc. cit., p.14. |
− | le rapport présenté par J. de Ajuriaguerra et | + | # loc.cit., p.122, Cf. le texte publié dans le précédent numéro de cette Revue, voir p. 71. |
− | H.Hécaen | + | # Polyxène : fille de Priam et d'Hécube. Venue réclamer avec Priam et Andromaque le cadavre d'Hector à Achille, elle s'offrit comme esclave et le fit fléchir (la trahison d'Achille !) |
− | aux Journées de Bonneval de 1943 (soit de la session | + | # Deucalion, fils de Prométhée, après le déluge de neuf jours, débarqua en Thessalie avec Pyrrha sa femme. Hermès lui dit de jeter les os de leurs mères pour repeupler la terre, ce qu'il fit comprenant que ce n'étaient que des pierres ; et des pierres jetées naquirent hommes et femmes. |
− | immédiatement | ||
− | antécédente). A ce rapport qui est une critique de sa | ||
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− | H.Ey apporte en effet une introduction et une longue réponse. | ||
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− | des citations qui suivront leur sont empruntées. (Rapports de la | ||
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− | d'Hécube. Venue réclamer avec Priam et Andromaque le | ||
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− | après le déluge de neuf jours, débarqua en | ||
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− | mères | ||
− | pour repeupler la terre, ce qu'il fit comprenant que ce | ||
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− | que des pierres ; et des pierres jetées naquirent hommes et | ||
− | femmes. |
Latest revision as of 07:49, 12 September 2015
Ces lignes ont été prononcées le 28 septembre 1946 au titre d'un rapport, aux journées psychiatriques à Bonneval. Henry Ey avant mis à l'ordre du jour de ces entretiens le thème de "la Psychogenèse". L'ensemble des rapports et de la discussion a été publié en un volume intitulé : Le Problème de la psychogenèse des névroses et des psychoses, paru chez Desclée de Brouwer. Le rapport présent a ouvert la réunion.
I. Critique d'une théorie organiciste de la folie, l'organo-dynamisme d'Henri Ey.
Invité par notre hôte, il y a
déjà
trois ans, à m'expliquer devant vous sur la causalité
psychique,
je suis mis dans une position double. Je suis appelé à
formuler
une position radicale du problème : celle qu'on suppose
être
la mienne et qui l'est en effet. Et je dois le faire dans un
débat
parvenu à un degré d'élaboration où je n'ai
point concouru. Je pense répondre à votre attente en
visant
sur ces deux faces à être direct, sans que personne puisse
exiger que je sois complet.
Je me suis éloigné pendant plusieurs
années
de tout propos de m'exprimer. L'humiliation de notre temps, sous les
ennemis
du genre humain, m'en détournait, et je me suis abandonné
après Fontenelle à ce fantasme d'avoir la main pleine de
vérités pour mieux la refermer sur elles. J'en confesse
le
ridicule, parce qu'il marque les limites d'un être au moment
où
il va porter témoignage. Faut-il dénoncer là
quelque
défaillance à ce qu'exige de nous le mouvement du monde,
si de nouveau me fut proposée la parole, au moment même
où
s'avéra pour les moins clairvoyants qu'une fois encore
l'infatuation
de la puissance n'avait fait que servir la ruse de la Raison ? Je vous
laisse de juger ce qu'en peut pâtir ma recherche.
Du moins ne pensé-je point manquer aux exigences
de la vérité, en me réjouissant qu'ici elle puisse
être défendue dans les formes courtoises d'un tournoi de
la
parole.
C'est pourquoi je m'inclinerai d'abord devant un effort
de pensée et d'enseignement qui est l'honneur d'une vie et le
fondement
d'une oeuvre, et si je rappelle à notre ami Henri Ey que par nos
soutenances théoriques premières, nous sommes
entrés
ensemble du même côté de la lice, ce n'est pas
seulement
pour m'étonner de nous retrouver si opposés aujourd'hui.
A vrai dire, dès la publication, dans l'Encéphale
de 1936, de son beau travail en collaboration avec Julien Rouart, l'Essai
d'application des principes de Jackson a une conception dynamique de la
neuropsychiatrie, je constatais - mon exemplaire en porte la trace
- tout ce qui le rapprochait et devait le rendre toujours plus proche
d'une
doctrine du trouble mental que je crois incomplète et fausse et
qui se désigne elle-même en psychiatrie sous le nom
d'organicisme.
En toute rigueur l'organo-dynamisme de Henri Ey
s'inclut
valablement dans cette doctrine par le seul fait qu'il ne peut
rapporter
la genèse du trouble mental en tant que tel, qu'il soit
fonctionnel
ou lésionnel dans sa nature, global ou partiel dans sa
manifestation,
et aussi dynamique qu'on le suppose dans son ressort, à rien
d'autre
qu'au jeu des appareils constitués dans l'étendue
intérieure
au tégument du corps. Le point crucial, à mon point de
vue,
est que ce jeu, aussi énergétique et intégrant
qu'on
le conçoive, repose toujours en dernière analyse sur une
interaction moléculaire dans le mode de l'étendue "partes
extra partes" où se construit la physique classique, je veux
dire dans ce mode, qui permet d'exprimer cette interaction sous la
forme
d'un rapport de fonction à variable, lequel constitue son
déterminisme.
L'organisme va s'enrichissant des conceptions
mécanistes
aux dynamistes et même aux gestaltistes, et la conception
empruntée
par Henri Ey à Jackson prête, certes à cet
enrichissement,
à quoi sa discussion même a contribué : il ne sort
pas des limites que je viens de définir; et c'est ce qui, de mon
point de vue, rend sa différence négligeable avec la
position
de mon maître Clérambault ou de M. Guiraud, - étant
précisé que la position de ces deux auteurs a
révélé
une valeur psychiatrique qui me paraît la moins
négligeable,
on verra en quel sens.
De toute façon, Henri Ey ne peut répudier
ce cadre où je l'enferme. Fondé sur une
référence
cartésienne qu'il a certainement reconnue et dont je le prie de
bien ressaisir le sens, ce cadre ne désigne rien d'autre que ce
recours à l'évidence de la réalité
physique,
qui
vaut pour lui comme pour nous tous depuis que Descartes l'a
fondée
sur la notion de l'étendue. Les "fonctions
énergétiques",
aux termes de Henri Ey, n'y rentrent pas moins que "les fonctions
instrumentales"<a href="#1">1</a>
, puisqu'il écrit "qu'il y a non seulement possibilité
mais
nécessité de rechercher les conditions chimiques,
anatomiques,
etc. du processus "cérébral générateur,
spécifique
de la maladie" mentale, ou encore les lésions qui affaiblissent
les processus énergétiques nécessaires au
déploiement
des fonctions psychiques.
Ceci va de soi au reste, et je ne fais ici que poser
en manière liminaire la frontière que j'entends mettre
entre
nous.
Ceci posé, je m'attacherai d'abord à une
critique de l'organo-dynamisme de Henri Ey, non pour dire que sa
conception
ne puisse se soutenir, comme notre présence à tous ici le
prouve suffisamment, mais pour démontrer dans l'explicitation
authentique
qu'elle doit tant à la rigueur intellectuelle de son auteur
qu'à
la qualité dialectique de vos débats, qu'elle n'a pas les
caractères de l'idée vraie.
On s'étonnera peut-être que je passe outre
à ce tabou philosophique qui frappe la notion du vrai dans
l'épistémologie
scientifique, depuis que s'y sont diffusées les thèses
spéculatives
dites pragmatistes. C'est que vous verrez que la question de la
vérité
conditionne dans son essence le phénomène de la folie, et
qu'à vouloir l'éviter, on châtre ce
phénomène
de la signification par où je pense montrer qu'il tient à
l'être même de l'homme.
Pour l'usage critique que j'en ferai à l'instant
je resterai près de Descartes en posant la notion du vrai sous
la
forme célèbre que lui a donnée Spinoza : Idea
vera
debet cum suo ideato convenire. Une idée vraie doit
(l'accent
est sur ce mot qui a le sens de : c'est sa nécessité
propre),
doit être en accord avec ce qui est idéé par elle.
La doctrine de Henri Ey fait la preuve du contraire,
en ceci qu'à mesure de son développement elle
présente
une contradiction croissante avec son problème originel et
permanent.
Ce problème dont c'est le mérite
éclatant
d'Henri Ey que d'en avoir senti et assumé la portée,
c'est
celui qui s'inscrit encore aux titres de ses productions les plus
récentes
- le problème des limites de la neurologie et de la psychiatrie,
- qui certes n'aurait pas plus d'importance que concernant toute autre
spécialité médicale, s'il n'engageait
l'originalité
propre à l'objet de notre expérience J'ai nommé la
folie : comme je loue Ey d'en maintenir obstinément le terme,
avec
tout ce qu'il peut présenter de suspect par son antique relent
de
sacré à ceux qui voudraient le réduire de quelque
façon à l'omnitudo realitatis.
Pour parler en termes concrets, y a-t-il rien qui
distingue
l'aliéné des autres malades, si ce n'est qu'on l'enferme
dans un asile, alors qu'on les hospitalise ? Ou encore
l'originalité
de notre objet est-elle de pratique - sociale ou de raison -
scientifique
?
Il était clair qu'Henri Ey ne pourrait que
s'éloigner
d'une telle raison, dès lors qu'il allait chercher dans les
conceptions
de Jackson. Car celles-ci, si remarquables qu'elles soient pour leur
temps
par leurs exigences totalitaires quant aux fonctions de relation de
l'organisme,
ont pour principe et pour fin de ramener à une échelle
commune
de dissolutions, troubles neurologiques et troubles psychiatriques.
C'est
ce qui s'est passé en effet, et quelque subtile
orthopédie
qu'ait apportée Ey à cette conception, ses
élèves
Bonnafé lui démontrent aisément qu'elle ne permet
pas de distinguer essentiellement l'aphasie de la démence,
l'algie
fonctionnelle de l'hypochondrie, l'hallucinose des hallucinations, ni
même
agnosie de tel délire.
Et je lui pose moi-même la question à
propos,
par exemple, du malade célèbre de Gelb et Goldstein, dont
l'étude a été reprise séparément
sous
d'autres angles par Bénary et par Hochheimer : ce malade atteint
d'une lésion occipitale détruisant les deux calcarines,
présentait
autour d'une cécité psychique, des troubles
électifs
de tout le symbolisme catégorial, tels qu'une abolition du
comportement
du montrer en contraste avec la conservation du saisir, - des troubles
agnosiques très élevés qu'on doit concevoir comme
une asymbolie de tout le champ perceptif, - un déficit de
l'appréhension
significative en tant que telle, manifesté par
l'impossibilité
de comprendre l'analogie dans un mouvement direct de l'intelligence,
alors
qu'il pouvait la retrouver dans une symétrie verbale, par une
singulière
"cécité à l'intuition du nombre (selon le terme
d'Hochheimer),
qui ne l'empêchait pas pour autant d'opérer
mécaniquement
sur eux, par une absorption dans l'actuel, qui le rendait incapable de
toute assomption du fictif, donc de tout raisonnement abstrait,
à
plus forte raison lui barrait tout accès au spéculatif.
Dissolution vraiment uniforme, et du niveau le plus
élevé,
qui, notons-le incidemment, retentit jusque dans son fond sur le
comportement
sexuel, où l'immédiateté du projet se
reflète
dans la brièveté de l'acte, voire dans sa
possibilité
d'interruption indifférente.
Ne trouvons-nous pas là le trouble
négatif
de dissolution globale et apicale à la fois, cependant que
l'écart
organo-clinique me paraît suffisamment représenté
par
le contraste entre la lésion localisée à la zone
de
projection visuelle et l'extension du symptôme à toute la
sphère du symbolisme ?
Me dira-t-il que le défaut de réaction
de la personnalité restante au trouble négatif, est ce
qui
distingue d'une psychose ce malade évidemment neurologique ? Je
lui répondrai qu'il n'en est rien. Car ce malade, au-delà
de l'activité professionnelle routinière qu'il a
conservée,
exprime, par exemple, sa nostalgie des spéculations religieuses
et politiques qui lui sont interdites. Dans les épreuves
médicales,
il arrive à atteindre par la bande certains des objectifs qu'il
ne comprend plus, en les mettant "en prise" en quelque sorte
mécaniquement,
quoique délibérément, sur les comportements
demeurés
possibles : et plus frappante que la manière dont il parvient
à
fixer sa somatognosie, pour retrouver certains actes du montrer, est la
façon dont il s'y prend par tâtonnements avec le stock du
langage pour surmonter certains de ses déficits agnosiques. Plus
pathétique encore, sa collaboration avec le médecin
à
l'analyse de ses troubles, quand il fait certaines trouvailles de mots
(Anhalts punkte, prises, par exemple) pour nommer
certains
de ses artifices.
Je le demande donc à Henri Ey : en quoi
distingue-t-il
ce malade d'un fou ? A charge pour moi, s'il ne m'en donne pas la
raison
dans son système, que je puisse la lui donner dans le mien.
Que s'il me répond par les troubles
noétiques
des dissolutions fonctionnelles, je lui demanderai en quoi ceux-ci
sont différents de ce qu'il appelle dissolutions globales.
En fait, c'est bien la réaction de la
personnalité
qui dans la théorie d'Henri Ey apparaît comme
spécifique
de la psychose, quoi qu'il en ait. Et c'est ici que cette
théorie
montre sa contradiction et en même temps sa faiblesse, car
à
mesure qu'il méconnaît plus systématiquement toute
idée de psychogenèse, au point qu'il avoue quelque part
ne
même plus pouvoir comprendre ce que cette idée signifie<a href="#2">2</a>,
on le voit alourdir ses exposés d'une description "structurale"
toujours plus surchargée de l'activité psychique,
où
reparaît plus paralysante encore la même interne
discordance.
Comme je vais le montrer en le citant.
Pour critiquer la psychogenèse, nous le voyons
la réduire à ces formes d'une idée qu'on
reflète
d'autant plus facilement qu'on va les chercher chez ceux qui en sont
les
adversaires. J'énumère avec lui : le choc
émotionnel
- conçu par ses effets physiologiques ; les facteurs
réactionnels
- vus dans la perspective constitutionnaliste ; les effets traumatiques
inconscients - en tant qu'ils sont abandonnés selon lui par
leurs
tenants mêmes ; la suggestion pathogène enfin, en tant (je
cite) "que les plus farouches organicistes et neurologues - passons les
noms - se réservent cette soupape et admettent à titre
d'exceptionnelle
évidence une psychogenèse qu'ils expulsent
intégralement
de tout le reste de la pathologie".
Je n'ai omis qu'un terme dans la série, la
théorie
de la régression dans l'inconscient, retenue parmi les plus
sérieuses,
sans doute parce qu'elle prête au moins apparemment à se
réduire,
je cite encore, "à cette atteinte du moi qui se confond encore
en
dernière analyse avec la notion de dissolution fonctionnelle".
Je
retiens cette phrase, répétée sous cent formes
dans
l'oeuvre d'Henri Ey, parce que j'y montrerai la défaillance
radicale
de sa conception de la psychopathologie.
Ce que je viens d'énumérer résume,
nous dit-il, les "faits invoqués" (termes textuels) pour
démontrer
la psychogenèse. Il est aussi facile pour Ey de remarquer qu'ils
sont "plutôt démonstratifs de tout autre chose"
qu'à
nous de constater qu'une position si aisée ne lui donnera pas
d'embarras.
Pourquoi faut-il qu'aussitôt, s'enquérant
des tendances doctrinales auxquelles à défaut des faits
il
faudrait rapporter "une psychogenèse - je le cite - si peu
compatible
avec les faits psychopathologiques", il croie devoir les faire
procéder
de Descartes en attribuant à celui-ci un dualisme absolu
introduit
entre l'organique et le psychique. Pour moi j'ai toujours cru, et Ey
dans
nos entretiens de jeunesse semblait le savoir aussi, qu'il s'agissait
plutôt
du dualisme de l'étendue et de la pensée. On
s'étonne
au contraire qu'Henri Ey ne cherche point appui dans un auteur pour qui
la pensée ne saurait errer que pour autant qu'y sont admises les
idées confuses que déterminent les passions du corps.
Peut-être en effet vaut-il mieux qu'Henry Ey ne
fonde rien sur un tel allié, à qui j'ai l'air d'assez
bien
me fier. Mais de grâce, qu'après nous avoir produit des
psychogénétistes
cartésiens de la qualité de MM. Babinski,
André-Thomas
et Lhermitte, il n'identifie pas "l'intuition cartésienne
fondamentale",
à un parallélisme psycho-physiologique plus digne de
Monsieur
Taine que de Spinoza. Un tel éloignement des sources nous
donnerait
à croire l'influence de Jackson encore plus pernicieuse qu'il
n'y
paraît d'abord.
Le dualisme imputé à Descartes
étant
honni, nous entrons de plain-pied, avec une "théorie de la vie
psychique
incompatible avec l'idée d'une psychogenèse des troubles
mentaux", dans le dualisme d'Henri Ey qui s'exprime tout dans cette
phrase
terminale, dont l'accent rend un son si singulièrement
passionnel
"les maladies mentales sont des insultes et des entraves à la
liberté,
elles ne sont pas causées par l'activité libre,
c'est-à-dire
purement psycho-génétiques."
Ce dualisme d'Henri Ey me paraît plus grave en
ce qu'il suppose une équivoque insoutenable dans sa
pensée.
Je me demande en effet si toute son analyse de l'activité
psychique
ne repose pas sur un jeu de mots entre son libre jeu et sa
liberté.
Ajoutons-y la clé du mot : déploiement.
Il pose avec Goldstein que "l'intégration, c'est
l'être". Dès lors dans cette intégration il lui
faut
comprendre non seulement le psychique, mais tout le mouvement de
l'esprit
et, de synthèses en structures, et de formes en
phénomènes,
il y implique en effet jusqu'aux problèmes existentiels. J'ai
même
cru, Dieu me pardonne, relever sous sa plume le terme de
"hiérarchisme
dialectique", dont l'accouplement conceptuel eût, je crois,
laissé
rêveur le regretté Pichon lui-même, dont ce n'est
pas
faire tort à sa mémoire que de dire que l'alphabet
même
de Hegel lui était resté lettre morte.
Le mouvement d'Henri Ey est entraînant certes,
mais on ne le peut suivre longtemps pour la raison qu'on
s'aperçoit
que la réalité de la vie psychique s'y écrase dans
ce nœud, toujours semblable et effectivement toujours le même,
qui
se resserre toujours plus sûrement autour de la pensée de
notre ami, à mesure même de son effort pour s'en
délivrer,
lui dérobant ensemble par une nécessité
révélatrice
la vérité du psychisme avec celle de la folie.
Quand Henri Ey commence en effet à
définir
cette tant merveilleuse activité psychique comme "notre
adaptation
personnelle à la réalité", je me sens sur le monde
des vues si sûres que toutes mes démarches s'y manifestent
comme celles d'un prince clairvoyant. Vraiment de quoi ne suis-je
capable
à ces hauteurs où je règne ? Rien n'est impossible
à l'homme, dit le paysan vaudois avec son accent inimitable, ce
qu'il ne peut pas faire, il le laisse. Qu'Henri Ey m'emporte par son
art
de "trajectoire psychique" en "champ psychique" et m'invite à
m'arrêter
un instant avec lui pour considérer "la trajectoire dans le
champ",
je persiste dans mon bonheur, pour la satisfaction d'y
reconnaître
des formules parentes de celles qui furent les miennes, quand en exorde
à ma thèse sur les psychoses paranoïaques, je
tentais
de définir le phénomène de la personnalité,
- sans plus m'apercevoir que nous ne tirons pas aux mêmes fins.
Certes, je "tique" un peu à lire que "pour le
dualisme" (toujours cartésien je suppose) "l'esprit est un
esprit
sans existence", me souvenant que le premier jugement de certitude que
Descartes fonde sur la conscience qu'a d'elle-même la
pensée,
est un pur jugement d'existence : cogito ergo sum, - et je
m'émeus
à cette autre assertion que "pour le matérialisme
l'esprit
est un épiphénomène", me reportant à cette
forme du matérialisme pour laquelle l'esprit immanent à
la
matière se réalise par son mouvement.
Mais quand, passant à la conférence
d'Henri
Ey sur la notion des troubles nerveux<a
href="#3">3</a>,
j'arrive à "ce niveau que caractérise la création
d'une causalité proprement psychique", et que j'apprends que
"s'y
concentre la réalité du Moi" et que par là "est
consommée
la dualité structurale de la vie psychique, vie de relation
entre
le monde et le Moi, qu'anime tout le mouvement dialectique de l'esprit
toujours s'évertuant dans l'ordre de l'action comme dans l'ordre
théorique à réduire sans jamais y parvenir cette
antinomie,
ou tout au moins à tenter de concilier et d'accorder les
exigences
des objets, d'Autrui, du corps, de l'Inconscient et du Sujet
conscient",
alors je me réveille et je proteste : le libre jeu de mon
activité
psychique ne comporte aucunement que je m'évertue si
péniblement.
Car il n'y a aucune antinomie entre les objets que je perçois et
mon corps, dont la perception est justement constituée par un
accord
avec eux des plus naturels. Mon inconscient me mène le plus
tranquillement
du monde à des désagréments que je ne songe
à
aucun degré à lui attribuer, du moins jusqu'à ce
que
je m'occupe de lui par les moyens raffinés de la psychanalyse.
Et
tout ceci ne m'empêche pas de me conduire envers autrui avec un
égoïsme
irréductible, toujours dans la plus sublime inconscience de mon
sujet conscient. Car si je ne tente pas d'atteindre à la
sphère
enivrante de l'oblativité, chère aux psychanalystes
français,
ma naïve expérience ne me donnera tien à retordre de
ce fil qui, sous le nom d'amour-propre, fut par le génie pervers
de La Rochefoucauld détecté dans la trame de tous les
sentiments
humains, fût-ce dans celui de l'amour.
Vraiment toute cette "activité psychique"
m'apparaît
alors comme un rêve, et ce peut-il être le rêve d'un
médecin qui mille et dix mille fois a pu entendre se
dérouler
à son oreille cette chaîne bâtarde de destin et
d'inertie,
de coups de dés et de stupeur, de faux succès et de
rencontres
méconnues, qui fait le texte courant d'une vie humaine ?
Non, c'est plutôt le rêve du fabricant
d'automates,
dont Ey savait si bien se gausser avec moi autrefois, me disant
joliment
que dans toute conception organiciste du psychisme, on retrouve
toujours
dissimulé "le petit homme qui est dans l'homme", et vigilant
à
faire répondre la machine.
Ces chutes du niveau de la conscience, ces états
hypnoïdes, ces dissolutions physiologiques, qu'est-ce donc
d'autre,
cher Ey, sinon que le petit homme qui est dans l'homme a mal à
la
tête, c'est-à-dire mal à l'autre petit homme, sans
doute, qu'il a lui-même dans sa tête, et ainsi à
l'infini
? Car l'antique argument de Polyxène<a
href="#4">4</a>,
garde sa valeur sous quelque mode qu'on tienne pour donné
l'être
de l'homme, soit dans son essence comme Idée, soit dans son
existence
comme organisme.
Ainsi je ne rêve plus, et quand je lis maintenant
que "projeté dans une réalité plus spirituelle
encore,
se constitue le monde des valeurs idéales non plus
intégrées,
mais infiniment intégrantes : les croyances, l'idéal, le
programme vital, les valeurs du jugement logique et de la conscience
morale",
- je vois fort bien qu'il y a en effet des croyances et un idéal
qui s'articulent dans le même psychisme avec un programme vital
tout
aussi répugnant au regard du jugement logique que de la
conscience
morale, pour produire un fasciste, voire plus simplement un
imbécile
ou un filou. Et je conclus que la forme intégrée de ces
idéaux
n'implique pour eux nulle culmination psychique et que leur action
intégrante
est sans nul rapport avec leur valeur, - donc que là encore il
doit
y avoir erreur.
Certes il n'est pas, Messieurs, dans mon propos de
rabaisser
la portée de vos débats, non plus que les
résultats
auxquels vous êtes parvenus. Pour la difficulté en cause,
j'aurais bientôt à rougir de la sous-estimer. En
mobilisant
gestaltisme, behaviourisme, termes de structure et
phénoménologie
pour mettre à l'épreuve l'organo-dynamisme, vous avez
montré
des ressources de science que je parais négliger pour un recours
à des principes, peut-être un peu trop sûrs, et
à
une ironie, sans doute un peu risquée. C'est qu'il m'a
semblé
qu'à alléger les termes en balance, je vous aiderais
mieux
à desserrer le nœud que je dénonçais tout à
l'heure. Mais pour y réussir pleinement dans les esprits qu'il
étreint,
ne faudrait-il pas que ce fût Socrate lui-même qui vint ici
prendre la parole, ou bien plutôt que je vous écoute en
silence.
Car l'authentique dialectique où vous engagez
vos termes et qui donne son style à votre jeune Académie,
suffit à garantir la rigueur de votre progrès. J'y prends
appui moi-même et m'y sens combien plus à l'aise que dans
cette révérence idolâtrique des mots qu'on voit
régner
ailleurs, et spécialement dans le sérail psychanalytique.
Prenez garde pourtant à l'écho que les vôtres
peuvent
évoquer hors de l'enceinte où votre intention les anima.
L'usage de la parole requiert bien plus de vigilance
dans la science de l'homme partout ailleurs, car il engage là
l'être
même de son objet.
Toute attitude incertaine à l'endroit de la
vérité
saura toujours détourner nos termes de leur sens et ces sortes
d'abus
ne sont jamais innocents.
Vous publiez, - je m'excuse d'évoquer une
expérience
personnelle - un article sur "l'Au-delà du principe de
réalité",
où vous ne vous attaquez à rien de moins qu'au statut de
l'objet psychologique, en vous essayant d'abord à poser une
phénoménologie
de la relation psychanalytique telle qu'elle est vécue entre
médecin
et malade. Et de l'horizon de votre cercle vous reviennent des
considérations
sur la "relativité de la réalité", qui vous font
prendre
en aversion votre propre rubrique.
C'est dans un tel sentiment, je le sais, que le grand
esprit de Politzer renonça à l'expression
théorique
où il aura laissé sa marque ineffaçable, pour se
vouer
à une action qui devait nous le ravir irréparablement.
Car
ne perdons pas de vue, en exigeant après lui qu'une psychologie
concrète se constitue en science, que nous n'en sommes encore
là
qu'aux postulations formelles. Je veux dire que nous n'avons encore pu
poser la moindre loi où se règle notre efficience.
C'est au point qu'à entrevoir le sens
opératoire
des traces qu'a laissées aux parois de ses cavernes l'homme de
la
préhistoire, il peut nous venir à l'esprit que nous en
savons
réellement moins que lui sur ce que j'appellerai très
intentionnellement
la matière psychique. Faute donc de pouvoir comme Deucalion<a href="#5">5</a>
avec des pierres faire des hommes, gardons-nous avec soin de
transformer
les mots en pierres.
Il serait déjà beau que par une pure
menée
de l'esprit nous puissions voir se dessiner le concept de l'objet
où
se fonderait une psychologie scientifique. C'est la définition
d'un
tel concept que j'ai toujours déclarée nécessaire,
que j'ai annoncée comme prochaine, et qu'à la faveur du
problème
que vous me proposez, je vais tenter de poursuivre aujourd'hui en
m'exposant
à mon tour à vos critiques.
- On peut lire le dernier exposé actuellement paru des points de vue d'Henri Ey dans la brochure qui donne le rapport présenté par J. de Ajuriaguerra et
H.Hécaen aux Journées de Bonneval de 1943 (soit de la session immédiatement antécédente). A ce rapport qui est une critique de sa doctrine, H.Ey apporte en effet une introduction et une longue réponse. Certaines des citations qui suivront leur sont empruntées. (Rapports de la Neurologie et de la Psychiatrie. H. Ey, J. de Ajuriaguerra et H. Hécaen, Hermann édit., 1947. No 1018 de la collection bien connue : Actualités scientifiques et industrielles".) D'autres citations ne se trouvent pourtant que dans des textes dactylographiés où s'est poursuivie une très féconde discussion qui a préparé les Journées de 1945.
- Cf. loc. cit., p.14.
- loc.cit., p.122, Cf. le texte publié dans le précédent numéro de cette Revue, voir p. 71.
- Polyxène : fille de Priam et d'Hécube. Venue réclamer avec Priam et Andromaque le cadavre d'Hector à Achille, elle s'offrit comme esclave et le fit fléchir (la trahison d'Achille !)
- Deucalion, fils de Prométhée, après le déluge de neuf jours, débarqua en Thessalie avec Pyrrha sa femme. Hermès lui dit de jeter les os de leurs mères pour repeupler la terre, ce qu'il fit comprenant que ce n'étaient que des pierres ; et des pierres jetées naquirent hommes et femmes.